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comprendre la violence judiciare


Ballast - comprendre la violence judiciare

À l’occasion d’une présentation du dernier film de David Dufresne, Un pays qui se tient sage, Lucie Simon, avocate, invoqua la notion de « violence judiciaire ». Loin des coups et des cris des violences policières, elle frappe à l’abri des regards, derrière les portes feutrées des tribunaux. Une violence que l’on ne dit sans doute pas assez. Pour ce quatrième et dernier volet de notre dossier consacré à la lutte de la famille Pontonnier, c’est l’institution judiciaire en tant que telle qui retient ici notre attention. Coûts de la défense, impunité policière structurelle, mise en accusation de la parole des victimes : nous en discutons avec les avocates Lucie Simon, Camille Vannier et Aïnoha Pascual. Les deux premières sont pénalistes et spécialisées dans le droit des étrangers ; la troisième a défendu de nombreux cas de violences policières lors de l’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et partage la charge du dossier des Pontonnier..

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Ballast — comprendre la violence judiciare

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Entretien initialement publié par la revue Ballast (revue-ballast.fr) en janvier 2021.

Comprendre la « violence judiciaire »

À l’occasion d’une présentation du dernier film de David Dufresne, Un pays qui se tient sage, Lucie Simon, avocate, invoqua la notion de « violence judiciaire ». Loin des coups et des cris des violences policières, elle frappe à l’abri des regards, derrière les portes feutrées des tribunaux. Une violence que l’on ne dit sans doute pas assez. Pour ce quatrième et dernier volet de notre dossier consacré à la lutte de la famille Pontonnier, c’est l’institution judiciaire en tant que telle qui retient ici notre attention. Coûts de la défense, impunité policière structurelle, mise en accusation de la parole des victimes : nous en discutons avec les avocates Lucie Simon, Camille Vannier et Aïnoha Pascual. Les deux premières sont pénalistes et spécialisées dans le droit des étrangers ; la troisième a défendu de nombreux cas de violences policières lors de l’expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et partage la charge du dossier des Pontonnier.

Parole contre parole ?

Lucie Simon: La plupart de nos dossiers de violences policières en manifestation se déroulent au pénal. C’est une responsabilité individuelle, celle du policier, qui est recherchée — l’État n’est donc pas mis en cause. Il s’agit de démontrer un lien de causalité certain entre l’action du policier et la blessure de la victime : ce lien est le point nodal. Prenons l’exemple d’un manifestant qui aurait perdu la main suite à un jet de GLI-F4. Comment prouver que cette blessure a été causée par cette grenade ? Comment retrouver l’identité de l’agent qui l’aurait lancée ? Une fois ces questions résolues, l’enquête devra établir si ce jet de grenade était strictement proportionné et absolument nécessaire au regard de la menace que représentait le manifestant vis-à-vis du policier ou de l’ordre public. Le policier n’avait-il pas d’autre choix pour neutraliser cette menace que de tirer ainsi ?

C’est important de noter que la parole des forces de l’ordre sera toujours perçue comme plus crédible que celle du blessé — une sorte de présomption de légitimité en faveur du policier s’est insidieusement installée dans le traitement judiciaire de ces dossiers. On constate aussi de manière quasi systématique que les victimes de violences policières sont en même temps poursuivies comme auteurs d’infraction sur les forces de l’ordre. L’enjeu est, à notre sens, de créer une personnalité dangereuse du manifestant pour venir par la suite jeter le discrédit sur ses déclarations, et légitimer la violence exercée par la police à son encontre.

Camille Vannier: En effet, dans de nombreux dossiers, lorsque des gardés à vue dénoncent des violences policières, les policiers concernés tentent de renverser la situation et déposent plainte à leur tour pour outrage et rébellion. Ils peuvent aller jusqu’à se mettre d’accord sur des versions concordantes : il arrive qu’on constate dans des procédures des « copier-collers » entre leurs témoignages… C’est malheureusement un grand classique. L’aura conférée à la parole des policiers leur donne un poids démesuré tandis que les interpellés, eux, n’auront de crédit que dans la mesure où leurs dires sont confortés par un élément extérieur, comme une vidéo. Malheureusement, dans la majorité des cas il n’y en a pas. Dans ce cadre, il n’est pas rare que des phénomènes de rétorsion soient observés à l’encontre des victimes, qui font parfois l’objet d’une intensification de contrôles, de menaces ou encore d’une pluie d’amendes fondées sur des motifs fallacieux : jets d’ordures sur la voie publique, tapage diurne, tapage nocturne…

Aïnoha Pascual: Mais il faut ici opérer une distinction entre un dépôt de plainte effectué dans un commissariat local et une plainte déposée à l’IGPN. Au niveau local — sans pour autant généraliser — qu’il puisse y avoir des « représailles » ne m’étonne guère. Cela s’explique par l’absence d’indépendance entre les policiers incriminés par la victime et ceux chargés d’investiguer sur les faits. À titre d’exemple : pendant le confinement, un jeune mineur avait pris des coups de poing de la part de policiers lors de son interpellation — ce qui avait été filmé par une fenêtre. Sa mère a porté plainte auprès du commissariat de quartier, de sorte que l’enquête a été menée en interne : or le fonctionnaire de police en charge de l’enquête n’était autre que le supérieur hiérarchique des policiers interpellateurs, qui les a rapidement mis hors de cause après les avoir sommairement entendus sur les faits. Dans certains dossiers de gilets jaunes blessés en province, les gendarmeries locales n’ont parfois même pas pris la peine d’entendre les forces de l’ordre suspectées d’avoir commis des violences, alors même que celles-ci étaient identifiées. A contrario, lorsque les enquêtes sont diligentées par l’IGPN, le risque de voir des mesures de rétorsion est moindre dès lors que les policiers mis en cause sont généralement entendus et que leur nom se retrouve ainsi inscrit dans la procédure — ce qui est de nature à les dissuader d’opérer de quelconques pressions sur les victimes. C’est pourquoi nous recommandons, en tant qu’avocats, de ne jamais porter plainte soi-même dans un commissariat local lorsque l’on est victime de violences policières.

« Allô l’IGPN ? »

Camille Vannier: Malheureusement, les résultats des enquêtes de l’IGPN sont souvent catastrophiques. Cette institution est connue pour protéger les fonctionnaires de police. Néanmoins, ponctuellement, des dossiers émergent malgré tout. Dans celui de la CSI 93 [unité de police urbaine, ndlr], une enquête assez conséquente a permis de prouver que les policiers avaient non seulement menti, mais surtout monté de toutes pièces un dossier à l’encontre d’un innocent. Ces pratiques ne sont pas isolées, mais elles sont rarement dévoilées au grand jour. Les policiers ont finalement été mis en examen et une information judiciaire est en cours1. Cette affaire doit faire réfléchir l’institution judiciaire quant à la crédibilité de la parole policière et de celle de tous les magistrats qui ont envoyé des gens en prison sur la base de cette croyance en la parole policière. Quand une enquête est confiée à l’IGPN, elle est sous la responsabilité du parquet qui les chapeaute, en lien avec les fonctionnaires de police. Très souvent, ces enquêtes se concluent par un classement sans suite. Les motifs sont multiples dans le cadre des violences commises lors de manifestations : il est souvent indiqué aux victimes que l’auteur des coups n’a pas pu être identifié… sans qu’aucune tentative d’identification n’ait été menée.

Aïnoha Pascual: Les statistiques ? L’IGPN est assez transparente concernant le nombre de plaintes déposées et de classements sans suite derrière. David Dufresne a aussi fait un travail conséquent sur la question. Après « allô place Beauvau », qui recensait les victimes de violences policières, il a lancé « allô l’IGPN » : il fait le suivi de toutes les affaires afin de savoir si et comment les enquêtes ont abouti, si elles ont été classées sans suite ou non.

Camille Vannier: Les rares dossiers qui aboutissent, ce sont souvent ceux dans lesquels il y a eu des vidéos qui ont inondé les réseaux sociaux. Dans ces circonstances, les policiers auteurs sont susceptibles d’être traduits devant un tribunal correctionnel. Mais ces cas sont trop rares. Et, souvent, ne sont poursuivis qu’un ou deux policiers — pour l’exemple. Ce que l’on note, c’est qu’à la différence du traitement des gilets jaunes ou des habitants de banlieues, il n’y a que très rarement des policiers en garde à vue pour ces faits, et presque jamais de comparution immédiate, ni de chambres spécialement ouvertes. Ils se voient remettre des convocations pour des jugements ultérieurs, ils ont le temps de préparer leur défense avant leur passage devant le tribunal. Le traitement judiciaire réservé aux fonctionnaires de police n’a rien à voir avec l’empressement et la sévérité qui sont opposés aux manifestants : c’est problématique.

Le prix de la Justice

Lucie Simon: Une fois que le procureur de la République décide de classer sans suite une affaire, différentes options s’offrent à la supposée victime, dont celle de déposer plainte avec constitution de partie civile. La victime demande alors au juge d’instruction d’ouvrir une information judiciaire — quand bien même le parquet a estimé que ce n’était pas nécessaire. Les juges n’apprécient pas toujours…

Camille Vannier: La constitution de partie civile force la saisine d’un juge d’instruction — un magistrat considéré comme indépendant. Magistrat et juge sont synonymes. Il y a grosso modo une division en deux branches au sein de la magistrature. D’une part, les magistrats du parquet (aussi nommés procureurs) ; de l’autre, les magistrats du siège (les juges). Les procureurs représentent officiellement les intérêts de la société : ils représentent l’accusation. Ce sont également eux qui supervisent la police et organisent les poursuites. Ils sont sous la tutelle du garde des sceaux, donc du ministère de la justice et in fine de la politique du gouvernement. De l’autre, les juges d’instruction mènent une sorte de « super enquête », avec des moyens plus importants et la possibilité pour les parties d’avoir accès au dossier et de « demander des actes » au juge, comme par exemple des expertises.

Lucie Simon: Il faut rappeler que dans le cadre d’une enquête préliminaire, nous n’avons accès à rien. Nous n’avons aucune prise sur le dossier, aucun droit de regard pendant toute cette étape. Nous n’avons pas de copie de procédure, nous ne sommes pas tenus informés des avancées de l’enquête. Nous pouvons formuler des demandes, mais l’IGPN, si c’est elle qui est en charge du dossier, n’a aucune obligation d’y répondre. A contrario, devant un juge d’instruction, nous avons accès au dossier : il nous est donc possible de suivre l’état des investigations et de demander des actes complémentaires utiles à la « manifestation de la vérité ». On peut par exemple demander une expertise (ou une contre-expertise) balistique, solliciter une morpho-analyse (l’analyse des gouttes de sang), demander l’interrogatoire d’un témoin, voire verser au dossier une modélisation 3D des faits… Notre rôle est bien plus important qu’au stade de l’enquête, et les pouvoirs du juge d’instruction sont élargis.

Mais pour déposer plainte avec constitution de partie civile après un classement sans suite, une consignation peut vous être demandée en fonction de votre état de fortune. L’idée est ici d’éviter les procédures abusives qui engorgeraient les juridictions, auquel cas la consignation ne sera pas restituée. Le problème, c’est qu’on observe parfois, dans des affaires sensibles, des demandes de consignations exorbitantes — bien au-delà de ce que commanderait la situation financière de la victime (cette consignation n’est jamais demandée si l’instruction est ouverte indépendamment de la demande de la victime). Sur ce versant économique, il faut aussi savoir qu’au niveau du dépôt de plainte — souvent avant l’enquête — l’aide juridictionnelle n’existe pas. La victime peut alors décider de porter plainte seule ou d’être accompagnée par un avocat, qu’elle doit rémunérer. Dans ce cas, c’est lui qui rédige la plainte et l’accompagne aux auditions de l’IGPN. Il peut aussi produire des pièces pour orienter l’enquête. Ces auditions sont particulières : la victime est parfois placée dans une position d’auteur et la moindre contradiction dans ses déclarations peut jeter le discrédit sur sa déposition. Si une instruction est ouverte, en fonction de son état de fortune, la personne peut enfin prétendre à l’aide juridictionnelle. C’est pareil lorsque le dossier est porté devant un tribunal, et qu’il y a une audience. À cette étape, en procédure correctionnelle, l’aide juridictionnelle est très basse au regard du travail à fournir — environ 250 euros pour l’avocat, pour un dossier qui représente des journées de boulot. Cet aspect économique peut être dissuasif, tant pour les victimes que pour les avocats… Cela demande un réel engagement, d’autant que, émotionnellement, ce sont des affaires qui sont souvent très dures pour nous aussi. Mais malgré les difficultés, j’ai envie de rester sur ces dossiers car ils font sens pour moi.

Camille Vannier: Ce sont évidemment nos engagements militants qui nous font tenir dans ce genre de cas !

L’impunité de la police

Lucie Simon: Il y a effectivement un lien qui tend à la connivence entre ces deux corps que sont l’exécutif et le judiciaire. Afin d’établir une vérité judiciaire — qui n’est pas une vérité absolue — le juge se fonde sur des éléments (les procès-verbaux) qui sont produits par la police. En caricaturant : sans les policiers, les juges n’ont pas de matière. On pourrait avancer l’hypothèse que cette « dépendance » du juge au regard du travail de la police le rend moins enclin à remettre en question la crédibilité de ses membres.

Camille Vannier : Cette connivence s’étend au corps médical. Il y a une faille énorme en ce qui concerne les médecins des UMJ [unités médico-judiciaires] chargés d’examiner les gardés à vue et d’évaluer les ITT [incapacités temporaires de travail]. Ils sont censés être indépendants, mais quand on compare les certificats délivrés aux fonctionnaires de police et ceux délivrés aux victimes de violences policières, c’est édifiant.

Aïnoha Pascual: Il faudrait qu’un journaliste enquête sur le terrain et passe un mois aux UMJ de Paris pour documenter ce qu’il s’y passe, et notamment qui sont les médecins qui délivrent les ITT et comment ils procèdent. La disparité de traitement entre les ITT délivrées pour les policiers et celles qu’on délivre aux victimes de violences policières est sans appel ! Que cela ne saute pas aux yeux des magistrats signifie qu’il y a un véritable souci. J’ai en tête l’exemple d’une personne qui a reçu un tir de LBD 40 dans la bouche et qui s’est vue délivrer 2 jours d’ITT pour une lèvre délabrée et des dents cassées, alors qu’elle travaillait dans l’hôtellerie. Et les policiers à moto qui avaient fait l’objet de jets de projectiles sur les Champs-Élysées, sans être touchés, ont obtenu 45 jours d’ITT pour le traumatisme psychologique subi ! Cette disparité est incompréhensible.

Camille Vannier: La relation des médecins des UMJ avec les gardés à vue se construit dans un décorum policier : l’examen se déroule dans une cellule souvent très sale ou à l’hôpital où ils sont amenés menottés et désentravés sous les yeux des médecins. Ils n’ont pas pu se laver avant d’être examinés, ils ont parfois des vêtements déchirés, ils n’ont pas de ceinture, pas de lacets : une position délicate. Symboliquement, c’est fort. Le dispositif n’est pas neutre. Ce n’est pas quelqu’un qui arrive en consultation dans un cabinet médical…

Lucie Simon: Les affaires de violences policières ont cette particularité de s’ancrer dans un débat qui est politique, et donc problématique pour le pouvoir. Notre système organise l’impunité des forces de l’ordre. La proposition de loi sécurité globale vient renforcer cet aspect, mais elle ne marque pas un tournant : elle s’inscrit dans une continuité. Ces lois, que ce soit celle portant sur l’interdiction de la diffusion d’images de la police ou celle traitant de l’extension de la légitime défense, confèrent un sentiment de toute-puissance aux syndicats de police. On a l’impression que la crédibilité démocratique de l’État est tellement fragilisée qu’il s’accroche à son bras armé comme à un radeau de fortune. L’impunité de la police existe depuis très longtemps ; l’hégémonie des syndicats et leur influence sur la production législative me semble plus récente.

La violence judiciaire

Lucie Simon: Après les violences policières vient le temps des violences judiciaires. Lorsqu’une personne vient me trouver suite à une blessure ou à la perte d’un proche du fait des forces de l’ordre, je l’alerte sur les nouvelles épreuves auxquelles elle va être confrontée, sur la nécessité d’en être consciente et de s’entourer. Il y a des coups desquels l’avocat ne peut pas protéger. À toutes les étapes de la procédure — dépôt de plainte, enquête, expertise médicale, instruction, jugement — la parole de la victime est remise en question. Ce questionnement est nécessaire à l’établissement d’une vérité judiciaire mais il est aussi une véritable violence pour les victimes. Il s’agit qui plus est d’une course de fond. On peut se demander sur des instructions de cinq ans s’il n’y pas une volonté de dépasser le temps médiatique : l’opinion publique oublie, elle oublie que Babacar Gueye a été tué par la police. Puis, lorsque le procès arrive, s’il arrive, il est difficile pour les parties de se souvenir précisément quatre ans après les faits des moindres détails d’une action qui a souvent duré une poignée de minutes. Rappelons qu’il existe des mémoires traumatiques tâchées de blancs.

Médiatiquement, il est parfois nécessaire de créer un rapport de force en rendant l’affaire publique. Cette bataille dans les médias comporte elle aussi son lot de dureté. Exposer son corps blessé, son visage, raconter son histoire, dire le basculement d’une vie… Il nous arrive de conseiller une telle médiatisation : reste à savoir comment l’articuler pour ne pas tomber dans le sensationnalisme et préserver la dignité de la victime. Il existe donc une violence judiciaire, souvent dissuasive — d’autant qu’après toutes ces épreuves il est fréquent d’essuyer, aux yeux de la victime, un véritable échec : classement sans suite, non-lieu, relaxe, acquittement…

Camille Vannier: Et, à l’inverse, quand la Justice est trop rapide, elle n’est pas du tout efficace. Pensons aux comparutions immédiates — qu’il faudrait impérativement supprimer. Cette justice rendue à la hâte est indigne. Dans le cadre des poursuites intentées à l’encontre des manifestants, nombreux sont ceux qui ont été confrontés à cette épreuve de la comparution immédiate, après des gardes à vue longues et éprouvantes, dans un état de fatigue avancée et des conditions d’hygiène difficiles. C’est l’un des aspects de ces violences judiciaires, grave et, hélas, monnaie courante : ces personnes se présentent devant leurs juges avec une dignité qui leur a été confisquée — et pour des dossiers souvent extrêmement vides.

Le droit, un rapport de forces

Camille Vannier: Au pénal, les juges sont chargés de se prononcer sur la culpabilité d’une personne et de prononcer une peine, s’ils l’estiment coupable. Les peines sont très variables et les policiers peuvent faire l’objet de peines complémentaires (interdiction du port d’arme, interdiction d’exercer, etc). Le coupable peut également être condamné à payer des indemnités à la victime.

Lucie Simon : Une des limites de la procédure pénale, c’est qu’elle n’engage que la responsabilité individuelle. La question de la responsabilité des institutions et,* in fine,* de l’État reste donc en suspens. Pourtant, cela aurait un sens puisque les policiers s’inscrivent bien dans un système hiérarchique. Pour réussir à mettre en cause la responsabilité des administrations ou de l’État, il faut donc sortir du pénal et se tourner vers l’administratif. Dans le cas de violences policières en manifestation, la mise en cause de l’État se joue devant le Tribunal administratif et ne peut pour le moment qu’être indemnitaire.

Camille Vannier : Dans ce type de recours, les indemnisations allouées sont souvent moindres que dans le cadre des intérêts civils au pénal. Ce sont des stratégies différentes et parfois complémentaires : il nous faut explorer toutes les possibilités que le droit nous offre.

Lucie Simon : Il ne tient qu’à nous de réussir à trouver d’autres formes de contestations juridiques. Le droit est une matière mouvante, souvent reflet des rapports de forces politiques. Il ne faut jamais cesser d’explorer ses possibilités, d’évoluer dans nos manières de travailler, de communiquer, de dénoncer.

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